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OBJETS DE RÊVE – MAGAZINE WIR

À Apples (VD), rendez-vous était pris pour aller à la découverte de la bibliophilie: l’amour des vrais beaux livres. On ne parle pas de ceux illustrés de simples photos ou reproductions de peintures, mais ceux conçus comme des œuvres d’art, en collaboration avec des artistes et des artisans pour des séries limitées. Ces objets – si un livre est un objet – dégagent immédiatement un supplément d’âme, et on se surprend à l’envie de revêtir des gants blancs avant d’en parcourir un. Le maître des lieux, Jean-Claude Paré rappelle dans un sourire la différence entre un livre très ancien d’un ouvrage conçu par ses soins.

La bibliophile est souvent à tort considérée comme étant un domaine réservé à des livres très anciens. «Nous prouvons le contraire en créant des livres totalement modernes – nous sommes éditeurs du XXIIème siècle dans le respect des traditions!»

Être bibliophile implique une recherche constante de qualité et de soins. Cela exige de trouver les bonnes personnes :. Un auteur, parfois un traducteur, un spécialiste de papiers de qualité, un imprimeur, un relieur, et même un artisan pour le coffret dans lequel sont souvent contenus ce type d’ouvrage.

Dans cette chaîne de compétences, la maison d’Apples où nous avons rencontré Jean-Claude Paré, fait office de cerveau et de tour de contrôle. L’atelier d’imprimerie n’est pas à l’étage, le peintre n’est pas dans le grenier, le papier n’est pas réalisé dans une zone artisanale voisine. «Nous travaillons essentiellement avec des réseaux d’artisans et des artistes suisses, à l’deux exceptions près: des coffrets qui viennent parfois d ailleurs comme de la Pologne et, de France, de Suisse et des imprimeurs est principalement de en France, partisans des méthodes inaugurées par Gutenberg! »

De récentes réalisations permettent de mieux appréhender le fonctionnement de l’entreprise. « L’une de nos dernières créations est la reprise du texte ‘Le Petit Prince’, d’Antoine de Saint-Exupéry.» L’œuvre et les illustrations sont largement connues. Comment apporter une plus-value dans ce cas? «Nous avons choisi un papier tout à fait naturel, qui vient d’extrême Orient. Le grammage est très léger – 30 grammes au m2 -, il rend très difficile l’impression recto verso. Pour la typographie, cela peut être une police de caractères déjà connue, avec des plombs qui ont été spécifiquement fondus pour nous.» L’éditeur ne collabore qu’avec des professionnels spécialisés, qui s’illustrent aux confins de l’artisanat et de l’art.

Quelques Les dessins de Saint-Exupéry ont été repris. Mais l’éditeur a aussi engagé un artiste qui a réalisé des lithographies originales, permettant ainsi d’offrir un nouvel univers visuel au lecteur. «Nous avons aussi ajouté, comme souvent, un supplément, en l’occurrence le commentaire original d’un expert qui révèle le caractère très ésotérique du texte, et permet de comprendre à quel point «Le Petit Prince» n’est pas un ouvrage destiné aux enfants. Pour citer un exemple, il fait remarquer que le personnage principal tient une épée, mais de la main gauche. Ce qui est symboliquement un choix de protection, alors que la tenir de la main droite affirme des intentions vindicatives.»

Les lecteurs ont-ils apprécié ? L’éditeur se désole de n’avoir pas pensé à mettre sous presse plus de 100 exemplaires. Hélas il est impossible d’organiser un second tirage puisque chaque ouvrage est vendu avec un certificat justificatif qui garantit qu’il n’existera pas de réédition.

Parmi les récentes publications succès de l’éditeur, il faut aussi citer «Les Dames de la Bible», un texte d’André Frossard de l’Académie française illustré par Jacques Pecnard. «Le papier est fabriqué avec du chiffon. Frossard rend, à sa manière, hommage aux femmes de la Bible. Les 26 illustrations originales sont des gravures sur cuivre. J’ai appris que des paroisses s’étaient cotisées pour en offrir un exemplaire à Mgr Mamie, ancien évêque de Fribourg . Il est venu nous rendre visite et e dernier nous avait confié que quand il feuilletait ce livre, qu’ il avait les poils des bras qui se dressaient lorsqu’il feuilletait l’ouvrage. Sa visite nous avait beaucoup touchés.»

La société Art, Créations et Bibliophile SA (ACB SA) a d’ailleurs édité une série d’ouvrages portant sur des thèmes ou des textes religieux. Mais cette collection est désormais en sommeil, D’autres séries sont consacrées à la Suisse: Les Contes du Léman ou Les Routes du vin en Suisse Romande ont connu un beau succès. Des auteurs tels que Bernard Clavel ou Jacques Jack Rolland ont collaboré sur des ouvrages. L’amitié ou la complicité qui liait alors un artiste à un auteur était un plus dont Jean-Claude Paré se souvient encore avec émotion.

Hans Erni est sans doute le plus célèbre artiste à avoir collaboré avec l’éditeur. D’autres peintres ont été sollicités tel que Jean-Pierre Rémon, Salvador Dali, Léonor Fini,… Pour ces artistes, illustrer de tels ouvrages a toujours été une forme de consécration.

La maison d’édition ACB ne date, il est vrai, pas d’hier. Elle a été créée à Paris en 19411944. La branche suisse qui existe depuis 1971, n’a plus de contact avec la maison mère, depuis revendue Outre-Atlantique…
Jean-Claude Paré estime sa production entre 140 et à plus de 150 éditions. Les tirages varient entre 60 et 300 exemplaires. Le terme de livre rare n’est donc pas usurpé. «Nous en publions sans doute en moyenne un tous les deux ans.»

Une création peut prendre trois ans. La direction est continuellement en contact avec ses partenaires. Mais rien ne l’empêche de mener plusieurs projets éditions en parallèle.

Le grand œuvre projet en cours est L’Art de la Guerre, du Chinois Sun Tzu, un très grand classique mondialement reconnu et étudié. «Pour cette création, j’ai suivi le conseil de mon fils qui vit en Chine depuis 20 ans. L’Art de la Guerre compte 13 chapitres, chaque fois imprimés dans une traduction originale en français du prêtre jésuite Amiot et avec un texte chinois utilisant une calligraphie moderne . Les illustrations, réalisées en Le texte en français est illustré de gravure sur bois, se présentent sous forme de dépliant (leporello). Pour pousser plus loin le plaisir bibliophile, chaque exemplaire contient 13 dessins originaux, différents d’un livre à l’autre. Le tout sera tiré à 120 exemplaires, et représente pour l’éditeur un chantier de cinq ans. Le commentaire de cette œuvre est réalisé par un spécialiste des arts chinois de la guerre, Philippe Lamarque.

Le choix des sujets n’obéit pas à des études de marchés. La maison se refuse d’ailleurs à réaliser des ouvrages consacrés à des entreprises ou à des personnalités. «Ce genre de propositions, nous ferait perdre l’indépendance qui fait le charme de notre métier». ACB se laisse donc guider par ses envies.

Il serait enivrant d’évoquer d’autres réalisations comme celle d’un texte peu connu d’Homère «La Bataille des Grenouilles et des Rats» ou de détailler la collaboration avec des artistes célèbres, de revenir sur le monde fascinant des papiers rares et des produits dérivés proposés par la société, foulards, lithographies, sculptures etc.

Mais il est temps de revenir aux fondamentaux de la revue WIR, et donc à la vie des PME! «Nous fonctionnons comme un horloger, avec un réseau d’artisans», expose simplement Jean-Claude Paré. Le prix des ouvrages édités est d’ailleurs comparable à une montre conçue selon la même logique – cela dépend beaucoup de la renommée des artistes et de la qualité des matières utilisées, le prix de CHF 3’000.– peut donner une idée raisonnable.

Pour la clientèle, le directeur a connu le temps du démarchage téléphonique. Les bibliothèques, municipales et autres, seraient friandes de tels ouvrages.
Actuellement, l’entreprise fonctionne aussi avec une petite poignée équipe de représentants de commerce qui ont une clientèle d’amateurs éclairés. Mais selon Jean-Claude Paré, le temps où prendre rendez-vous avec des médecins était une technique de vente efficace est révolue. Les bibliothèques, cantonales et nationale sont friandes elles aussi de tels ouvrages.

«Nous devons nous diversifier» résume sa fille. La beauté de la chose est qu’il n’y a plus ou pas de profil d’acheteur type. Il y a des amateurs de beaux livres comme il y a des amateurs de montres ou de bijoux. Ceux-ci peuvent être chef d’entreprise, mais aussi employé ou paysan. Nous cherchons donc à faire savoir qu’un beau livre peut être apprécié par tous. un cadeau pour un collègue qui part à la retraite.» WIR est une pièce du puzzle du futur réseau d’amateurs de très beaux livres édités en série limitée.

ACB SA a découvert l’existence de WIR, comme cela arrive, au hasard d’un bon client qui avait proposé ce moyen de paiement. «Nous avions ainsi quelques milliers de francs sur un compte. La découverte d’une station-service qui les acceptait nous a permis, relativement récemment de les utiliser».
Les membres WIR et ACB ont encore beaucoup de chose à apprendre les uns des autres. Pour le meilleur, assurément!
 
Vincent Borcard